Sincère :
Faisant silence du bruissement du souffle
j'explore ce qui est juste avant la sonorité des mots.
Ces instants suspendus où rien encore n'est certain
comme lorsqu'on ne trouve pas son mot
et qu'on le dit « juste sur le bout de la langue »
comme une buée encore invisible
se préparant, venant de souffle.
Laissant mes yeux en repos
quittant tous les savoirs
d'un geste infiniment ralenti
je prends le temps de sentir ce que je fais
pour faire entendre les mots.
Au geste du mot
cherchant, j'ai rencontré ...
la mastication, la déglutition, la manducation
la langue et son palais palpant
des narines aspirant et soufflant
des dents et des lèvres retenant et libérant
le ventre et le poitrail dans l'élasticité des souffles.
Au geste du mot
cherchant, j'ai connu que ...
juste avant que le mot ne se dise
encore inconnu, il commence de se former.
Dans cette venue du mot encore inconnu
se préparent les tonus musculaires de l'articulation
en gorge et mâchoire et pharynx
et visage et thorax et la langue et les lèvres
se prépare le geste articulatoire
sans savoir encore ce qui viendra.
Au geste du mot
cherchant, je vis ...
le cheminement d'un souffle
un souffle venant d'inconnu.
Ignorante de ce qu'il adviendra
je sens la préparation du geste.
Et lorsque le souffle est là
en gorge, en pharynx et en larynx
est là entre les lèvres …
Lorsque tu vois la buées des mots
lorsque la voix apparaît ...
C'est étrange ce qui se joue dans cet instant.
Le regard plongé dans un ailleurs abyssal
du geste du mot, me vient une voix.
C'est étrange ce qui se joue dans cet instant.
Il y a un juste avant le mot
et le mot qui vient est surprise et pourtant déjà là.
Je ne l'ai pas choisi, le mot vient
je n'en ai pas l'idée, il est l'idée qui me vient.
C'est étrange ce qui se joue dans cet instant.
Venant de mystère
comme d'outre nuit
le mot est venu
ce n'est pas moi qui l'ai dit
et pourtant il me fait être celle qui le dit.
C'est étrange ce qui se joue dans cet instant.
Je n'était pas là avant le mot
je suis apparue disant le mot.
C'est étrange.
Je viens à moi en même temps que l'idée m’apparaît.
L'idée qui apparait devient mon idée.
J'apparais disant mon idée.
C'est étrange.
Je viens à moi dans le mot en train de s'articuler
Je viens à moi dans l'idée qui apparaît.
Je viens à moi en même temps que s'exhale le mot
Je viens à moi dans le geste faisant sens.
C'est étrange.
Je connais des mots et de moi qu'il viennent d'un avant
qu'ils sont déjà là mais n'y étant pas.
C'est étrange.
Au geste se faisant
et y apparaissant.
C'est étrange.
L'apparition est cet instant.
Un basculement.
C'est étrange.
Lucide :
Et c'est ainsi que selon que l'on soit
roi mésopotamien
chasseur-cueilleuse de Dordogne
ou reine de Saba.
Et c'est ainsi que selon que l'on soit
druide breton
ouvrière d'usines mondialisées
ou pêcheur pacifique.
Et c'est ainsi que selon que l'on soit
contemplatif à Lisbonne
professeur d'université new-yorkais
ou Pythie des exhalaisons.
Et c'est ainsi que selon que l'on soit
maraîchers japonnais
Cassandre fille d'Homère
ou beau-parleur de Carthage.
Et c'est ainsi que selon que l'on soit
Sibylle à Delphes
Inca magnifique
ou savant à Paris
Et c'est ainsi que tes mots viennent
en langue maternelle
te faisant apparaître
en même temps que tu nommes la réalité.
Cherchant tes mots
je t'ai vu rencontrer l'avant des mots.
Les mots viennent de ce que tu es déjà.
Les mots ne viennent pas du senti
c'est le senti qui vient des mots.
Au mot qui se prépare, à l'articulation
au geste de te voir et de nommer ce geste
dans le geste du mot je te vois apparaître.
J'ai vu apparaître qu'il y a quelqu'un qui apparaît.
Dans le geste en train de se faire je te vois apparaître.
Tu n'étais pas là avant le mot.
Tu n'étais pas là avant le geste.
C'est étrange !